L'expérience de l'incertitude morale, Descartes (1/2) - Extrait et questions

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Extrait :

[...] sitôt que l’âge me permit de sortir de la sujétion de mes précepteurs, je quittai entièrement l’étude des lettres ; et me résolvant de ne chercher plus d’autre science que celle qui se pourrait trouver en moi-même, ou bien dans le grand livre du monde, j’employai le reste de ma jeunesse à voyager, à voir des cours et des armées, à fréquenter des gens de diverses humeurs et conditions, à recueillir diverses expériences, à m’éprouver moi-même dans les rencontres que la fortune me proposait, et partout à faire telle réflexion sur les choses qui se présentaient que j’en pusse tirer quelque profit. Car il me semblait que je pourrais rencontrer beaucoup plus de vérité dans les raisonnements que chacun fait touchant les affaires qui lui importent, et dont l’événement le doit punir bientôt après s’il a mal jugé, que dans ceux que fait un homme de lettres dans son cabinet, touchant des spéculations qui ne produisent aucun effet, et qui ne lui sont d’autre conséquence, sinon que peut-être il en tirera d’autant plus de vanité qu’elles seront plus éloignées du sens commun, à cause qu’il aura dû employer d’autant plus d’esprit et d’artifice à tâcher de les rendre vraisemblables. Et j’avais toujours un extrême désir d’apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux, pour voir clair en mes actions, et marcher avec assurance en cette vie.

René DESCARTRES, Discours de la méthode, Première partie, Bordas, 1988, tome 1, p. 576- 577.


Questions :

1. Fuyant la culture philosophique purement livresque qu'il avait reçue au Collège jésuite de La Flêche, Descartes entreprend de "ne chercher plus d’autre science que celle qui se pourrait trouver en [lui]-même, ou bien dans le grand livre du monde". En quoi une telle démarche l'expose-t-elle à rencontrer le problème de l'incertitude morale ?

2. Descartes évoque trois types d'expériences : "voyager", "voir des cours et des armées", "fréquenter des gens de diverses humeurs et conditions". En quoi chacun de ces trois types d'expériences a-t-il pu contribuer à lui faire connaître une diversité de mœurs et de principes moraux ? Analysez chacun de ces trois types expériences et donnez des exemples dans chaque cas.

3. Descartes décrit ainsi la méthode qu'il a suivie pour acquérir cette expérience de la vie et en tirer, autant que possible, des leçons : "recueillir diverses expériences", "m’éprouver moi-même dans les rencontres que la fortune me proposait", "faire telle réflexion sur les choses qui se présentaient que j’en pusse tirer quelque profit".

a) Comment qualifieriez-vous cette méthode, qui consiste à vouloir tirer des règles ou des principes d'une expérience acquise ?

b) Analysez chacun des trois éléments et montrez ce qui, pour chacun d'entre eux, favorise ou défavorise la formulation d'une règle ou d'un principe général.

4. Qu'est-ce qui porte Descartes à penser qu'il pourrait "rencontrer beaucoup plus de vérité dans les raisonnements que chacun fait touchant les affaires qui lui importent" que "dans ceux que fait un homme de lettres dans son cabinet, touchant des spéculations qui ne produisent aucun effet, et qui ne lui sont d’autre conséquence, sinon que peut-être il en tirera d’autant plus de vanité qu’elles seront plus éloignées du sens commun" ? Pour justifiez votre réponse, aidez-vous des questions suivantes :

a) Analysez l'opposition faite ici par Descartes entre "les raisonnements que chacun fait touchant les affaires qui lui importent" et "[les raisonnements] que fait un homme de lettres dans son cabinet".

b) Analysez l'expression : "dont l’événement le doit punir bientôt après s’il a mal jugé". 

c) En quoi les "effets" et les "conséquences" sont-ils ici des critères déterminants pour juger de la validité des "raisonnements" dont il est question ?

d) Que désigne ici l'expression : "la sens commun", et en quoi la proximité ou l'éloignement du sens commun constitue-il ici un critère de validité des raisonnements moraux ?

5. Par conséquent, quelle définition de ce en quoi devrait consister une véritable éducation morale Descartes donne-t-il ici ?

6. "[...] j’avais toujours un extrême désir d’apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux, pour voir clair en mes actions, et marcher avec assurance en cette vie".

a) Quelle relation Descartes établit-il ici entre "apprendre à distinguer le vrai d'avec le faux" et "voir clair en mes actions, et marcher avec assurance en cette vie" ?

b) Qu'a de surprenant cette mise en relation ? S'attendrait-on ici à voir apparaître une autre distinction que celle du vrai et du faux ? Laquelle ?

c) Que change ce déplacement, opéré par Descartes, à la définition d'une morale ?

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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